Dominique STRAUSS-KAHN |
Alain GAUVIN, Avocat |
Publié dans la Revue Banque, février 2021, No. 853
« Ce que nous avons aussi voulu souligner dans cette étude, […], c’est l’importance pour les terroristes des outils, disponibles légalement […] qui préservent l’anonymat des utilisateurs.[1] »
À l’heure où le procès des attentats de 2015 s’achève, cette conclusion de l’étude réalisée par le Centre d’Analyse du Terrorisme (CAT) en 2016 mérite d’être rappelée car elle dément l’opinion selon laquelle les voies empruntées par les terroristes pour se financer seraient occultes, voire impénétrables[2].
Certes, les sources de financement illicites n’ont pas tari et tout doit être fait pour les assécher. Mais chacun peut comprendre qu’un tel combat puisse prendre du temps pour prospérer.
En revanche, l’opinion publique ne peut concevoir que des terroristes puissent recourir à des moyens licites pour mener des projets criminels avec l’ambition de traumatiser une société toute entière, voire d’anéantir une civilisation.
Les banques : boucs émissaires ?
Aujourd’hui, le risque de financement du terrorisme n’est pas à chercher du côté des banques : celles-ci ont élaboré des outils sophistiqués et disposent d’expertises pointues qui font d’elles le bras séculier de l’Etat en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT). En outre, elles sont soumises au contrôle de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), dont les moyens se sont accrus autant que la sévérité dont elle fait preuve.
Par conséquent, un criminel avisé ne sollicitera pas les services d’une banque pour transférer des fonds illicites : trop risqué alors même que la loi met à sa disposition, certes, bien involontairement, d’autres canaux tels que les services d’agents de paiement ou encore le fameux formulaire « Cerfa No. 13426 » fourni par les douanes.
Qui sont ces agents de paiement ?
Ils sont bien connu du grand public : il s’agit de commerces de proximité, auxquels certains opérateurs de transferts de fonds confient l’exécution d’une partie de leurs activités. Par exemple, Western Union et la Française des Jeux se sont unies pour offrir au public un service de transfert de fonds opérés par des buralistes[3]. Mais, parce qu’elle est étrangère au monde bancaire et financier, l’activité de ces commerçants, bien qu’utile, ne les conduit pas à développer une culture du risque LCB-FT. Pire, TRACFIN relève des cas de complicité de commerçants qui, profitant de leur qualité d’agent de paiement, facilitent le blanchiment d’argent.
Cerfa No 13426 : simple formalité
Une autre passoire légale, plus surprenante encore, permet de transférer des sommes considérables en toute sérénité. Ainsi, tout individu peut, librement, faire entrer en France, ou en faire sortir, des espèces à concurrence de 10.000 euros. Au-delà de 10.000 euros, il lui suffit de déclarer la somme transportée en remplissant le formulaire « Cerfa No. 13426 ».
On peut s’interroger sur l’utilité de cette déclaration, si elle n’est pas suivie d’un contrôle. Plus grave encore, aucun justificatif de la provenance des fonds transportés n’est exigé d’une personne qui voyagerait au sein de l’UE avec, en poche, jusqu’à 50.000 euros.
On ne peut s’empêcher de mettre en perspective les moyens déployés par les autorités pour sanctionner les manquements de certaines banques – manquements qui ne sont au demeurant révélateurs d’aucune participation à la commission d’une opération de terrorisme – avec la liberté accordée par la loi à toute personne porteuse de « cash » ou avec le laxisme dont bénéficient les acteurs du web et de la téléphonie mobile : alors qu’ils détiennent souvent plus de données sur les clients que les établissements financiers, la réglementation LCB-FT les ignore !
Sanctionner une banque en raison de ses manquements est nécessaire car le secteur bancaire se doit d’être irréprochable. Mais de quoi parle-t-on ? Par « manquement« , on entend, par exemple, une classification des risques qui, bien qu’étayée, n’est pas approuvée par l’autorité ; ou encore une erreur de la banque dans la qualification de PPE[4].
En définitive, éduquer les agents de paiement à la sécurité financière, empêcher que n’importe qui ne transporte librement des fonds et soumettre, mutatis mutandis, les opérateurs de l’internet et de la téléphonie mobile, au régime LCB-FT, constituent trois moyens efficaces de lutter contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent. S’en priver serait une faute.
[1] www.lejdd.fr/Societe/Attentats-en-France-enquete-sur-l-argent-des-terroristes-817339
[2] http://cat-int.org/wp-content/uploads/2017/03/Financement-des-attentats-2015-VF.pdf
[3] www.westernunion.com/blog/fr/western-union-and-francaise-des-jeux-give-customers-the-option-to-combine-digital-and-retail-for-their-money-transfers/
[4] Pour mémoire, les PPE, pour personnes politiquement exposées, sont des personnes considérées comme « exposées à des « risques plus élevés » de blanchiment de capitaux« , en raison des fonctions qu’elles « exercent, ou ont cessé d’exercer depuis moins d’un an, des fonctions politiques, juridictionnelles ou administratives pour le compte de la France, d’un État étranger ou d’une organisation internationale, ainsi que leurs proches. » https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/2018_article_ppe.pdf