Kawtar RAJI-BRIAND Avocate au Barreau de Casablanca |
Alain GAUVIN ASAFO & Co. Avocat & Associé |
Publié par L’Economiste, le 5 avril 2021
Trois ans après la publication de la note de présentation du projet de loi relatif au financement collaboratif, la Loi 15-18 a enfin été publiée au Bulletin Officiel du 8 mars 2021.
A l’étranger, l’engouement pour cet outil de financement et d’investissement, couramment appelé « crowdfunding », est spectaculaire. En France, par exemple, plus d’un milliard d’euros a été collecté et a permis de financer 115.616 projets et entreprises. Le financement dit participatif en prêt est passé de 508 millions d’euros en 2019 à 741 millions d’euros en 2020. Le secteur immobilier représente 75 % de la collecte en prêt, suivi par le secteur de l’environnement et des énergies renouvelables[1].
Qu’entend-on par financement collaboratif ?
L’article 1er de la Loi 15-18 définit le financement collaboratif comme étant « une opération de collecte de fonds auprès du public, réalisée par une société de financement collaboratif mettant en relation des porteurs de projets et des personnes désirant les financer, par le biais d’une plateforme électronique de financement collaboratif créée par cette société et gérée à cet effet, selon les conditions et modalités prévues par la présente loi et les textes pris pour son application. »
Cette loi consacre les trois formes connues du crowdfunding :
- L’investissement ;
- Le prêt avec ou sans intérêt ;
- Le don.
Quels en sont les résultats attendus ?
Parmi les objectifs poursuivis par les pouvoirs publics, on retient la mobilisation de nouvelles sources de financement au profit des TPME et des jeunes porteurs de projets innovants ; la participation active des « Marocains du Monde » au développement du pays ; le renforcement de l’attractivité de la place financière du pays.
De tels objectifs pourraient bien être atteints grâce aux atouts que présente le crowdfunding sous la forme de prêts (crowdlending) : il instantanéise la rencontre de l’offre et de la demande de financement de petite taille, réduit substantiellement le coût de financement grâce à la technologie numérique et offre un rapport rendement/risque attractif.
D’aucun considère que le financement collaboratif est une nouvelle étape sur la voie de la désintermédiation bancaire. La supposée désintermédiation bancaire est une ritournelle que l’on entend depuis plusieurs décennies : le recours aux marchés de capitaux, la participation de certains institutionnels aux financement de projet, la prolifération de fonds de toute sorte, le shadow banking, l’ouverture du marché des services de paiement à des acteurs non bancaires, la cryptomonnaie, etc. sont les chapitres de la chronique d’une mort bancaire annoncée, mort bancaire à laquelle nous ne croyons pas pour au moins deux raisons.
D’abord, sur le plan réglementaire, le financement collaboratif sous forme de prêts est strictement encadré par la Loi 15-18 : son exercice par une société de financement collectif (SFC) doit être agréé par Bank Al Maghrib, l’autorité bancaire, et de nombreux actes autorisés aux banques sont interdits aux SFC : par exemple, la SFC ne peut utiliser les fonds collectés ni se livrer au démarchage et les prêts qu’elle propose sont limités tant en montant qu’en durée.
Ensuite, sur le plan pratique, la « désintermédiation bancaire » ne s’est jamais traduite par l’exclusion des banques mais, contrairement à ce que cette expression laisse penser, par une diversification de leur intervention. Par exemple, le recours aux marchés de capitaux, c’est-à-dire la possibilité pour une entreprise de se financer sur les marchés plutôt que de souscrire un prêt classique ne signe pas la mort de la banque en matière de financements, au contraire, son rôle s’est protéiformisé : prêteur, lorsqu’elle souscrit les titres émis par l’emprunteur, structureur lorsqu’elle conçoit des titres particuliers ou encore arrangeur, lorsqu’elle conseille l’emprunteur et place ses titres.
Aujourd’hui, nous ne croyons pas que le crowdfunding soit une menace pour les banques. En créant des SFC ou en se portant partenaires de SFC, les banques apportent leur expérience du financement, leur connaissance du risque de crédit, elles peuvent répondre à une demande de financement aujourd’hui insatisfaite, contribuer à bancariser une clientèle ignorée, développer une activité génératrice de revenus, sans risque significatif de contrepartie et non consommatrice de fonds propres, et accélérer leur digitalisation. Cette synergie entre crowdfunding et banques est une réalité que la multiplication des partenariats contractuels et même capitalistiques à l’étranger illustre : partenariat commercial entre le Crédit Coopératif (groupe BPCE) et la plateforme Wiseed ; partenariat entre BNP Paribas et la plateforme Wiseed, la banque participant à la sélection des porteurs de projets, ce qui lui permet d’identifier assez tôt les innovations susceptibles de l’intéresser ; partenariat capitalistique entre le Crédit Mutuel Arkéa et Prêt d’Union ; partenariat entre la Banque Postale et la plateforme KissKissBankBank ; etc.
Une raison invite à se réjouir de la survie des banques : elles sont aujourd’hui les seuls opérateurs économiques à disposer des outils et de l’expertise propres à contribuer à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
[1] https://financeparticipative.org/wp-content/uploads/2021/02/BAROMETRE-CROWDFUNDING-2020-FPF-MAZARS_Fevrier-2021.pdf#